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LES DOSSIERS DE L'ÉTÉ 2009
livres, archives et bibliothèques
Inbreeding, 2007, Galleria Galica
Chutes de livres.
Étonnantes, envahissantes et baroques, les sculptures spatiales d'Alicia Martin, se déploient indifféremment au sol ou en l'air. L'artiste utilise comme constituants uniques des milliers de livres dans leurs variantes innombrables de formats, de couleurs de couverture, d'épaisseurs. Elle les dispose ouverts ou fermés, malmenés ou considérés, en quantités, en tas, en désordre et en vrac. Elle les multiplie, les recycle, les érige, les suspend, ou les plante.
Avec les « Biographias », les installations d'Alicia Martin prennent des allures de cornes d’abondance, véritables tourbillons vomissant des milliers d’ouvrages. Dans « Shot », elles évoquent de dramatiques avalanches provoquées par un coup de feu. Dans les « Inbreeding ». les livres se pétrifient dans un mouvement descendant, ils sont comme figés dans leur chute. Monumentales, toutes ces réalisations fixent le temps.
Les livres employés par l'artiste sont dans leur multitude, les objets à partir desquels l'oeuvre s'élabore, le vocabulaire d'une expression plastique qui transgresse et se joue des codes de l'écriture. Considérés pour eux mêmes, ils deviennent sujet et interrogent le respect de la culture, le sens d'une vie d'homme quand celle-ci se fonde sur une relation intime aux productions de l'esprit. A moins que de manière plus pragmatique, ces livres en masse n'envisagent la révolution qui affecte le monde de l'édition. Ce dernier est concentré entre les mains de quelques grands groupes qui développent une économie parasite basée sur les offices et les retours faussant ainsi toutes les données objectives d'un commerce équilibré par la loi de l'offre et de la demande.
L'aventure osée des livres au XXe siècle était positive toutefois : démultiplication des publications, augmentation exponentielle du nombre des acteurs de la chaîne du livre, prix unique... Leur présence visible en multitude était une révélation de l'utopie de l’omniscience. Mais bientôt, prisonniers de leur définition et de leurs entrepreneurs, ils succombaient à la griserie d'une forme de réussite. Les oeuvres d'Alicia Martin sont pour une part une condamnation ironique de la vanité et de la cupidité des industriels du livre qui sont directement responsables de son destin tragique. Mais lorsqu'elle considère le livre seul, même irrémédiablement déchiré, il est porteur de l'espérance qui s'oppose alors à un irréversible déclin.
Les photographies de la suite « Monologos », laissent supposer qu’il y a dans l'univers d'Alicia Martin un questionnement relatif à la détérioration de l’objet "livre" mais qui n'envisage pas sa destruction. Isolé, au premier plan, entre les mains d'un individu qui exprime plus de désespérante nécessité que de violence, le livre rompu et morcelé renvoie à l'image d'un homme en danger de déséquilibre arrière. Toute l'allégorie de la chute est ainsi renforcée. Chute de livres dans les installations, souffrances de l'homme déchu, privé des nourritures de l'esprit dans les photographies.
Mais si les révolutions connaissent leur époque de terreur, elles portent aussi en elles le germe d'un renouveau. Et déjà, on soupçonne beaucoup de livres de posséder la volonté, l'ingéniosité et l'audace de trahir Gutemberg et de s'enfuir vers d'autre supports.
Catherine Plassart
Inbreeding 2008, c-print, cm 60x42
Jardines II 2003, c-print, cm 165x110
Poliglotas 2003, video still, 2'
Photos : (1) Biografias, 2003, site specific installation, Casa de America, Madrid (2) Monologos III 2007, c-print, cm 100x80
Alicia Martin est représentée
par la
galleria galica
viale Bligny, 41 - 20136 Milano, Italy
phone. +39 02.58430760 - fax. +39 02.58434077
e.mail: mail@galica.it
The gallery is open from Tuesday to Friday, 10 am - 1 pm, 3 pm - 7 pm
Saturday, 2 pm - 7 pm
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Catherine Plassart - contact@artpointfrance.org Les dossiers de l'été 2009
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