Joëlle David : Portrait de l'artiste en couseuse d'images.
par Jean-Paul Gavard-Perret
Quand Joëlle David commence son travail le soleil est au zénith mais des nuées traînent encore sur le bleu de ciel. Le corps de l'artiste s'arc-boute, ses jambes se croisent, son souffle se creuse : l'imagination déborde, mais il faut la nourrir et l'épingler de divers fragments. Dans cette quête ses doutes s'apaisent : les os, les muscles retrouvent leur faim jusqu'à ce que ses images deviennent chair prélevée puis recomposée. Tandis que le monde s'agite la fièvre de vie s'empare des morceaux d'images que Joëlle David colle sur la matrice vierge avec ses yeux de luciole et le frayage de ses mains. C'est l'heure des eaux plates et des couleuvres ingurgiteuses de grenouilles un peu plus loin dans la campagne.
Dans ce travail l'imaginaire de l'artiste métamorphose le concept par un montage sans souci d'explication ou d'illustration. L'image s'ouvre. Chaque élément choisi et brisé se refait au delà de la ruine de sa banalité première. En ramenant de déjà vu l'artiste ne crée en rien du pareil ou du même. Coupant certaines chaînes admises par les empreints disparates Joëlle David les fait parler autrement en son travail. Ses prélèvements deviennent des moutures. Elles réaniment un monde disparate pour le porter vers une sorte de surréalité onirique et ironique.
Chaque oeuvre est une amorce mais dit plus que ses vocables. Dans leurs placements les sens deviennent aigus et stridents. La raison flanche. Quelque chose ne tourne pas rond et c'est bon. Entre les blancs de l'air passe et sape ce que chaque élément évoquait jusque là. La quantité de blanc ne révèle donc pas forcément du silence. Mais coupe les visions binaires en un rythme animal. C'est une rage à peine contenue. Une fête aussi. C'est le paradoxe de la césure et de l'entaille. Les contrastes deviennent saisissant et impactent la mémoire avec régularité. Le coeur par-dessus tout est une alternative. L'oeil se fait errant face à ce la créatrice recompose. Un autre type de regard s'impose et s'oppose à la réminiscence « platonicienne ». Un appel de fond ouvre le visible pré-constitué par associations intempestives. Si bien qu'une mémoire image suspend le discursif et fait surgir des morceaux de monde là où la « représentation » est neutralisée par le collage. Il agence bien autre chose que de simples simulacres ou d'images fantomales.
Les analystes de l'image trop sûrs de leur science « exacte » devraient faire un détour par ces matrices qui requalifient le langage plastique. Apparaît un espace iconographique pré et post réflexif, une expérience brute et immédiate de la profondeur en une trame singulière. Contre la trop simple ouverture de la perception par les images fantômes de la chose concrète surgit un travail du palimpseste. Chaque oeuvre devient une « page d'écriture » où les figures sont centrées ou décentrées, où les gestes précis sont doublés par l'afflux des références parfois drôles parfois plus cruelles et plus graves. L'entrelacs subtil du fragment et de son assemblage crée des « vestigiae », des empreintes fragiles, des souvenirs involontaires.
Noyé dans l'image, le regardeur n'est pas face à l'image : il passe à l'intérieur pour la recomposer lui-même. La "colleuse" ne prétend pas donner aux images leur sens ultime mais nous ramène par un mouvement de reprise et d'approfondissement à un murmure déchiré et agence autrement. Cela s'appelle la poésie matière, la poésie vivante. L'oeuvre ouvre à un vertige ludique. Joëlle David propose une réelle jouissance et une étrange torsion car elle n'est jamais corsetée en ses protections d'autant que d'une pièce à l'autre les mondes sont souvent de nature différente. Des soubresauts sont presque bucoliques, d'autres fabuleux. A l'indolence de l'usure le temps alcoolique trace des non-sens. L'espace éclabousse au creux des ivresses. Il est foudroyé non en oubli d'une césure mais par elle. Pas de langueur, de miséricorde. L'anémié se dissout. L'absence et la grisaille s'effacent dans un orgasme vociférant où l'instinct l'emporte sur la raison là où chaque image empruntée est soumise à des soubresauts qu'elle n'avait pas prévu.
Joëlle David crée des abîmes par le compact et le fragment, elle fomente la dispersion et l'ordre. Demeure le maintien du mystère par celui-là même de « passementerie » du collage.Tout se situe à la frontière, entre divers zones : douceur et douleur, apaisement et écrasement, drôlerie et sérieux, l'épars et l'homogène, le flux persistant, la dispersion insistante en divers seuils d'égarement, d'errance. De telles créations semblent suspendues aux replis du rêve. Elle le secouent par des fables inédites. Derrière son jeu, l'oeuvre témoigne de l'exigence la plus grande : "prendre" une image c'est s'intéresser avant tout au mouvement qui l'anime et tout ce qu'il peut faire remonter en l'introduisant dans de nouvelles perspectives qui se dessinent en avançant.
photos : (1) Summertime Medusa, photo et collages sur papier photo 50 x 36 cm printemps 2010,(2) Souffle d’Or aquarelle et collage sur papier Arches 300g/m2 36 x 26 cm 21 décembre 2012 (solstice hiver),(3) La Roulette Française, aquarelle et collage sur Arches 300 g/M2, 50 x 65 cm cm, 22 mars 2012, (4) Dali Chimère aquarelle et collage.
voir aussi : la vitrine de Joëlle David dans Art Point France
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