Figurations kaléidoscopiques de Jo Vargas
par Jean paul Gavard-Perret
Jo Vargas vibre et tremble à la moindre chute, au plus ténu des bruits, au plus absurde des cris de plume. De sa main elle gravait déjà des signes aux falaises préhistoriques. Elle griffe à présent le papier. Surgissent parfois les cyniques regards des voleurs qu’elle suivit. Ceux des harceleurs mimant l’amour, des marins d’eau douce, des mères de vinaigre, des pères sévères, des hidalgos racés dont le cœur douteux fit battre le sien.. Ses yeux s’y perdaient, ses pas s’y noyaient
Désormais quand la nuit la prend Jo Vargas allume encore une cigarette : elle n’est qu’une silhouette incandescente au milieu de celles qu’elle dessine et peint aux seins de labyrinthes optiques. Chez elle une ligne n’est pas une ligne : elle bouge, fuit, réapparaît, voyage dans la nuit, regarde pousser les ombres mais ne se laisse pas abuser par d’autres stries. C’est ainsi que des visages se forment, se déforment, se télescopent de manière avant de dresser leurs cris en noir sur le papier. Toute la nuit et jusqu’à l’aube l’artiste invente des corps parallèles ou renversés : des oiseaux par milliers peuvent nicher dans leurs genoux puis s’envoler en une vague majuscule
Quand l’aube de midi se hisse pesamment sur Paris, l’artiste poursuit sa quête. Comme toutes les quêtes elle est absurde mais belle comme le graal. Puis elle attend le crépuscule dans l’aboi fauve d’un étrange opéra à double fond. Car Jo Vargas le précise en sous titre à son exposition : « Une scène très différente se déroule derrière la cloison ». A nous d’imaginer le meilleur du pire Pendant ce temps l’artiste incise encore des lignes, étend des taches. La souffrance procède par approches magnétiques.
N’est pas sismographe déréglé qui veut : mais Jo Vargas invente des portraits en déséquilibre compensé. Parfois ils glissent. Parfois ils ont des gestes de statues nègres. Elle peut aller jusqu’au dessein des lèvres. Dans son œuvre tout « Je » est incertain. Mais créer revient à retrouver sa connivence et conjurer l’illusion des "Tu" mordant et leur attirance parfois trompeuse.
C’est pourquoi ses œuvres ressemblent à des ruelles où miaulent d’impossibles chats. Le noir jette le doute dans un regard traqué d’amour tandis que les mains de l’artiste tournent autour de ses spectres. Chaque œuvre dresse un lieu géométrique entre le sexe, l’amour, la vie, la mort. L’artiste y insère des entrelacs dénoués et des vagues qui tiennent même quand le présent se fend. Toute effraction laisse une trace. Chacun y attend les insomnies heureuses afin que les monstres s’assoupissent..
Femme lune, sa marque indélébile est le noir de suie, le blanc d’un morceau de craie. Le cœur y bouge tel un chien en cage.. Bain de lait, de soufre, de parfums, de fruit. Un jour, se souvient –elle, ce fut la première fois. Après il y eut toutes les autres. Mais elle brosse la poussière de sa mémoire, elle vit pour me regard.. Qu’importe si la mort et la folie couchent ensemble. Il suffirait d’un rien, d’un geste de celle ou celui qui cherche un espoir dans ses dessins. Elle ou il allume aussi une cigarette. L’un est un point l’autre une ligne. Les deux comme Jo Vargas voyagent dans la nuit.
Jo Vargas « Exposition », Galerie du CROUS, 11 rue des beaux arts, Paris 6ème. Du 27 mars au 7 avril.
photos : (1) Comme une danse d'ombres, technique mixte sur toile libre 220 x 200 cm, (2) Arrivée prévue quai N°7 technique mixte sur toile 100 x 100 cm, (3) Le vieux Rembrandt technique mixte sur toile libre 220 x 200 cm, (4) L'affaire Dashiell Hammett technique mixte sur toile 50 x 50 cm
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