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8 mars 2007 4 08 /03 /mars /2007 09:48

Il y a parfois plus d'esprit dans le corps qu'il n'y en a  dans la parole quand celle-ci n'est pas intempestive...

 

Nous offrons volontiers une tribune à Ciro Giordano Bruni (Association CER-Danse, Conseil Permanent d’Ecoles et des Compagnies pour l’Enseignement et la recherche en Danse) qui s'emploie à une critique acerbe  de la production théâtrale d'aujourd'hui et développe un plaidoyer en faveur de la résurgence d'une perspective qui viserait à « perpétuer et embellir le concept de l'homme. » (Nietzsche)

 

Communiqué :

 

Théâtre et théâtre de danse

 


Après la révolution de l'art dramatique des années cinquante et son héritage, le théâtre a cessé d'être depuis plus d’une décennie le lieu du questionnement, des luttes et des longs récits de l’espérance.

« L’art n’est plus la transfiguration poétique du réel mais les présentations de sa disparition, celle du réel, du concept de la nature et de la philosophie elle-même » (J. Baudrillard, Le complot de l’art).

 

Le théâtre actuel symbolise, métabolise, exprime un principe de suicide culturel, social et politique que le public est appelé à ritualiser dans un consentement tacite, en communion avec les acteurs.

 

La philosophie réduite comme l'art à un exercice de style, a perdu sa fonction de fonder une « cité » en paroles, laissant le champ libre à la prolixité médiatique de ceux qui ont le moins à dire (Gide) et qui proscrivent le goût de la vie. La poésie n'a plus l'aura d'antan où les héros sortaient grandis du combat affligeant leur destin, et celle dominant la scène actuelle exprime vitupération angoissée, érotisme sulfureux, sentiment liberticide d’un réel sans devenir. Cette scène dépendante d'une très forte charge néolibérale, que par ailleurs elle condamne, désavouant le sens idiomatique des expressions telles que liberté et démocratie, endort avec des promesses flatteuses les spectateurs plutôt que de les faire rebondir face aux malversations commises envers eux.

 

Les personnages du théâtre contemporain semblent incapables de comprendre ce qui leur arrive et par là même sont dans l'impossibilité d'affronter les problèmes les avilissant.

 

Pourtant, l’une des orientations axiomatisés des formes de ce théâtre serait, selon de nombreux auteurs : « Affirmer son humanité et son existence », bien qu’ils ne montrent en miroir, sous les couleurs d'une mise en scène astucieuse, que la vie sombre et violente de notre société.

 

Cette représentation mimétique de la figure de soi ne fait pas advenir, comme ils le prétendent, par le rire ou bien par les larmes, l'émotion cathartique (Bernard-Marie Koltès, Le retour au désert). Auteurs et metteurs en scène estiment que nous sommes dans une société en mutation et qu’il est trop tôt pour se positionner. Ainsi, ils préfèrent traiter notre médiocrité, notre souffrance en nous laissant dans l’indigence de ce que nous sommes en train de vivre, plutôt que se risquer à faire « fausse route » ou, disons-le clairement, plutôt que se confronter aux opinions diverses et disparates des lobbies communautaires ou communautaristes qui aujourd'hui semblent édicter seuls les règles de la citoyenneté.

 

Bien des auteurs s'autocensurent en évitant d'aborder des thématiques qui dérangent, sans que personne ne s'étonne le moins du monde de l'absence de questionnement sur certains sujets.

 

Parmi les sujets autorisés se trouve celui de la famille, thématique ancestrale de l'exacerbation des passions et des jeux cruels entre parents et enfants. (Biljana Srbljanovic, Histoires de familles).

 

Tous les personnages de la scène théâtrale sont déracinés, anonymes, privés d'une quelconque identité et agissent sans connaissance à l'encontre même de leurs mythes primordiaux.

 

Les Mille et une nuits, (adaptation de Bertrand Raynaud) fable ayant tant nourri nos fantasmes positifs, revisitée dans le théâtre actuel, ne nous proposent que des fragments disloqués de surfaces obscures en déstabilisant le sens même de toute représentation.

 

La laïcité apprise à l’école ou dans la rue est devenue un vecteur de discrimination positive avilissant, anéantissant toute innocence et la scène théâtrale nous la révèle comme une rançon à payer et qui ne nous étonne qu’à peine ! (Gianina Carbunariu, Kebab)

 


On aura quelques difficultés à trouver sur les scènes des théâtres parisiens, en ce mois de février 2007, des tentatives de revendication émancipatrice. Le cynisme s'exerce névrotique et en surplomb de situations de douleur et de brutalité inouïes. Le tragique qui mériterait d'être évoqué et interrogé pour être assumé avant d'être évacué, est montré comme le cliché figé  d'un corps horriblement blessé, sans vie, que l'on regarde sans complaisance mais aussi sans horreur et sans se sentir véritablement concerné.

 

Le sentiment d'amour véridique ne s’accordant plus qu’avec la vengeance réaliste (Kafka) désillusionne même les plus optimistes et revient souvent dans la crise d’identité traversée, avec les esquisses habituelles d’un rêve brisé en se confrontant à la réalité.

 

Dans la tradition du XVIIIe s., le théâtre s'est souvent renouvelé en prenant des libertés qui n’étaient pas admises auparavant, mais aujourd'hui la fresque exhibe le goût du sang dégoulinant et de la chair meurtrie.

 

Antonin Artaud avec son « Théâtre de la cruauté » souhaitait révéler au monde les rêves inconnus d'une cruauté refoulée chez l'homme. Aujourd'hui nous n'en sommes plus là, on honore et exprime avec véracité l’absence de vérité, dans le consentement et la douleur. (Howard Barker, Judith ou le corps séparé)

 

Pour des historiens de l'art, le ferment de l'invention artistique n'aurait fait apparaître que des types de perversions propres à des circonstances historiques, la mélancolie du Symbolisme, la schizophrénie du Cubisme ou la paranoïa du Surréalisme. Quelle serait la pathologie de notre art actuel ?

 

Au premier abord, on peut penser que le théâtre d'aujourd'hui, comme expression littéraire ou artistique, conduirait, par son acte de négation, à un accord de résolution cathartique. C’est sans compter avec la difficulté rencontrée par cette société à se positionner collectivement par rapport à sa réalité hyperbolique et à ses dispositions virtuelles et fictives de la conscience. Les expressions artistiques présentées par les théâtres et musées nationaux, au lieu d’être des valeurs métaphoriques, instruisant le sujet sur sa figure de l'Etre équilibrante, forcent par leur forme désinvolte, hiératique, négative, le dispositif d'intersubjectivité du sujet. (Voir le geste d’agressivité gratuit avec les portables : happy slaping) Un sujet agit ainsi en direction d'un pré-établi « conscient collectif » alimenté par les médias porteurs de l'idéologie néo libérale qui condamnent l'homme à devenir un vecteur modulaire idiosyncrasique dans la colonisation de la pensée mondialiste.

 


Dans ce contexte, la scène théâtrale de la danse souffre du démantèlement de sa spécificité. Certaines expériences faites conjointement avec d’autres expressions restent utiles et intéressantes, mais une inquiétude justifiée a été la vampirisation faite par ces autres expressions de son âme, « un temps d’avant le temps » propre à son art, selon Paul Valéry.

 

Nietzsche condamne sans équivoque cet « historicisme » dans la vulgarité du théâtre où seul est visible le faire, et le vrai cesse d’être vrai lorsqu’il est vu.

 


La danse s'accomplissant dans « le mouvement virtuel » selon des philosophes, n’est plus qu’un souvenir. Ce que l'on continue encore à appeler danse sur les scènes théâtrales n'est plus qu'un « mouvement actuel » sans secret et dans l’évanouissement de lui-même. Une telle représentation anticipée sur la réalité manque de ce que l’on a appelé la « force du réel » auquel le théâtre en tant que récit textuel ou pas, ne peut prétendre car il ne possède pas la « lenteur cachée », « la promptitude virtuose », « la retenue » propres à l'exercice de la « pensée danse » depuis ses origines.

 


Pour Alain Badiou, la pensée véritable de la danse est suspendue à l'évènement en tant que « métaphore de l'infixé » entre « l'avoir lieu et le non lieu ». ( Danse et Pensée, Germs éditeur) La danse dans le théâtre est tout le contraire puisque cette scène est en excès sur son dire, et les personnages sont appelés à jouer l'acte. Au « théâtre » même la nudité est un costume et des plus voyants, ce qui ne ressemble pas à « l'anonymat du corps » propre à la danse en pensée.

 


Parmi les nouveaux spectacles de ce genre de danse au théâtre, imposés par des productions nationales ou internationales, subventionnés par les institutions de l’Etat, des Régions ou des Villes, retenons celui de Jan Lauwers « Le Bazar du homard » et celui de Gilles Jobin « Double Deux », présentés l’un et l’autre au Théâtre de la Ville, scène qui se veut novatrice !


Ces auteurs semblent nous dire qu'ils ont orienté leur travail vers une découverte de l’homme, « un homme nouveau ». Prétention extrême à la mesure de leur tromperie! Sans référence au moindre trait singulier de la danse, ces prétendus « gourou » rivalisent avec des procédés fantaisistes et puérils auxquels une partie du public s’intéresse.

 

Qu’ont-ils à nous dire de si nouveau en matière de mouvement du corps : des balancements d’extension et d’inclinaison, de pronation, de supination ou bien des rotations, des convulsions, une gestualité choréique s’apparentant à la danse simplement parce que décrite par des psychiatres pour définir certaines maladies nerveuses.

 

Les formes de la révolte, liberticides plus que libertaires, longtemps rejointes par l’histoire qui en a déjà fait un usage d’inspiration dadaïste et surréaliste, nous viennent par ces acolytes comme un flot naturel. Parce qu’il n’y a plus de raison sérieuse d’interdire, tout est voué à être permis, passant outre à nos erreurs éducatives et aux limites de la tolérance.

 

Peut-on tordre le cou à ce raisonnement se mordant la queue sans heurter le bon sens ?

 


Si le mot « négationnisme » ne désigne plus que ceux niant l’existence de la shoah, nous appellerons « négationniste » celui qui prescrit au nom du réel tragique, l’advenir de « l'ici et maintenant » positif.

 

On peut ranger parmi les pensées négatives celles cherchant la vérité dans le monde, qui n’est autre qu’une croyance et pas une « joie de penser, de démontrer » si chère à Nietzsche.

 

Dans une perspective nietzschéenne, l’art fait dériver sur une illusion, mais nous ne sommes pas trompés, cette unité de mesure de la vérité pratique contribue à l’équilibre et à l’unification des instincts « autour de la vie ». (Le Mensonge dans l'art, Germs)

 

Un retour aux avant-gardes est un retour aux pensées mortifères d’un monde imaginaire se réalisant comme nous l'avons vu, autant de fois que l’on s’efforce de le recréer, illusionnant, affabulant, hallucinant autour de la vie.

 

Ce monde dépourvu d'éléments constructifs ne peut plus être le nôtre. De ce qui du passé est à vivre au présent, il n'y a que fictivation. La vraie vie, selon Nietzsche, consiste à « perpétuer et embellir le concept de l'homme. » Le négationniste actuel n'a d'objectif que de nier ce concept. C'est pour cela qu'il ne peut s'exprimer dans l'art qui est une valeur sûre de l'existence. Le théâtre actuel dominé par cette tendance mortifère ne représente pas l'avenir de notre culture.

 

Pour élargir le débat, il faudra mesurer le silence des candidats à l'élection présidentielle sur l'avenir qu'ils entendent réserver à la culture, au théâtre et à la danse, et en même temps de la très grave et urgente situation sociale des intermittents du spectacle.

 

La crise d'une pensée art a démotivé le public à fréquenter les théâtres, les nationaux en particulier. L'accès sans discrimination ni censure de tous les créateurs et interprètes dans les différents lieux n'a été qu'un discours de circonstance de l'Etat, des Régions et des Villes.

 

Depuis 1999, nous avons demandé au Ministère de la Culture de mener une action de Démocratie Participative dans le cadre des activités des CND, favorisant au plus grand nombre l’accès à ces institutions. Huit ans plus tard, le fonctionnement est toujours aussi arbitraire, clientéliste, communautariste ce qui empêche l'art de la danse d'exprimer toutes ses voies d'expérimentation et de recherche.

 

Quel avenir pour une France n'osant plus déclarer ses orientations politiques favorisant la diversité des catégories Esthétique et Ethique.

 


Association CER-Danse, Conseil Permanent d’Ecoles et des Compagnies pour l’Enseignement et la recherche en Danse

Ciro Giordano Bruni

Si vous partagez ces opinions, rejoignez-les.

cer.danse@aliceadsl.fr

 

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