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Art contemporain : un regard lavé de tout soupçon sur l'actualité des expositions, des salons, des événements culturels en France et en Europe.

Ciesla

 LES OISEAUX DE CIESLA OU LE REVE DE L'ART


"Ciesla", Galerie Henri Chartier, Lyon (du 15 septembre au 3 novembre 2007)

 

CieslaTout sculpteur d'une manière ou d'une autre n'a qu'un but : toucher le fond du réel jusqu'aux limites du tolérable à travers la matière mais aussi par un thème central. Chez Ciesla ce dernier est "astral", il   passe par la figure de l'oiseau qui représente l'exacerbation de la recherche d'un artiste pour qui la vie ne peut être comprise que sous cette forme. Toutefois Ciesla cherche  moins à déployer les ailes des volatiles qu'à retenir leur  cri : cri issu de la matière  mais aussi des muscles, de l'affect et de l'esprit.  de celui qui est possédé par la rage de saisir.

 

Cette manière de figurer éveille l'idée d'une présence. La sinuosité des lignes est un signe de vie intense et les contraintes imposées à la matière ne cessent de rappeler la lutte de l'être. Pour survivre l'oiseau de Ciesla  devient  le héros celte Cuchûmain qui plongé successivement en trois cuves d'eau froide, faisait éclater la première, bouillir la seconde et tiédir la dernière. Il  lui ressemble quand dans ses différents bains de matière, il  se dépouille des dorures du monde et nous apprend  la sagesse.

 

Toutefois l'oiseau de Ciesla n'est pas seulement épique. Souvent immobile, il s'exhibe sur des sortes de stèles, plus en attente qu'en véritable repos. Il est là , hors de toute aventure comme de tout mythe. Nocturne ou diurne,  il est le seul relief dans l'espace qui le circonscrit. Imperméable à la durée, il ne semble admettre qu'un temps suspendu, presque éternel ... Non fantôme mais créature soumise à l'apesanteur et éloignée des vicissitudes communes.

 

De telles sculptures sont fascinantes : elles deviennent la traduction du mouvement en termes forcément immobiles. Il y a là, un dynamisme immanent et une présence fabuleuse,  mais aussi une attitude obsédante, organique voire érotique puisque la matérialité de leur corps n'est jamais laissée à l'abandon. L'oiseau est donc La Présence vivante. Tous les oiseaux de l'artiste revêtent une allure jaillissante. Chacun d'eux est " l'objet " d'une entreprise toujours à recommencer. Il s'agit cependant moins pour l'artiste de perfectionner que de faire "confiance"  à l'accident de la matière.

 

L'oiseau  témoigne de la réalité humaine, mais de manière transcendée. Il n'est pas un ange mais une manière  de poser le problème humain. Sa thématique affirme qu'il n'existe pas d'individu qui ne soit parcelle transitoire (l'oiseau n'étant que de passage)  en même temps qu'à lui seul tout un monde. L'oiseau signe le mariage du ciel et de l'enfer sur terre. Le réalisme poussé à l'extrème débouche sur autre chose que la tragédie. Intensément vivants, ces rapaces laissent voir de petits bouts de squelettes principalement dans le bronze ou l'acier. On ne saurait scruter la vie sans arriver à mettre à nu la beauté comme la terreur. Chez Ciesla toutes deux se cachent sous les carapaces de plumes d'acier les plus somptueuses.

 

 

CieslaII

 

Les oiseaux de Ciesla : roues de l'infini pris au piège de la matière. Mais l'acier fait l'envol. C'est pourquoi ils ne connaissent pas la chute. Ils deviennent corps d'air étayés de strates. Ce sont des monuments dont le bord n'a pas de ligne et qui jouent avec le vent . Ils font corps avec lui en un mouvement de conquête.

 

Ils tissent de la sorte une relation inédite entre l'oeuvre et l'art. Sous leur diversité de formes surgit une unité de motif plus que figurative. Ils peuvent être considérés comme des variations sur un même thème, des digressions de composition, des modulations de la matière.

 

Indépendantes les unes des  autres, différentes séries temporelles les relient en jouant sur le conflit entre la permanence thématique et les modules de structure qui, toujours, les remettent en question.

 

Pourtant, comme dans les nature-mortes de Cézanne, chaque oiseau est créé dans l'oubli de ceux qui le précèdent. La sculpture n'est donc plus le signe multiple et diffracté du pouvoir de création de Ciesla. C'est chaque fois la "même" oeuvre qui est projetée, remise " à zéro " dans la déception d'un absolu impossible à atteindre mais qu'il convient de serrer. Chacun des oiseaux devient une expérience qui dans la recherche inconditionnelle engage, à tout moment,  la totalité du  projet artistique.

 

La parenté entre les oeuvres invite à voir chaque pièce comme un morceau d'un puzzle ou une version diffractée et incomplète de l'Oiseau Idéal. Chaque oeuvre est donc un essai mais jamais un aboutissement.

 

Ciesla ne considère pas sa sculpture comme un art qu'on posséde mais comme une recherche. Pour cela il sait qu'il ne doit jamais renoncer : chaque oiseau témoin de l'introspection agissante est un acte de fabrication, une pensée qui se prendrait elle-même pour objet. La pesanteur de la matière est là pour exalter l'apesanteur de l'oiseau, la sculpture pour elle même. Une sculpture dont parfois le titre est trompeur. : " If ", l'  " If ".  La sculpture est oiseau d'If jusqu'à ce que  l' oeuvre et la vie s'associent en devenant indissociables.

 

Telle est l'utopie de l'oeuvre : horizon d'une vie dans l'art dont l'accomplissement devient inséparable du temps inchoatif de l'acte de sculpter. L'oiseau fixe ainsi le refoulé d'un rêve de l'art, de l'art sans fin,  la forme première d'une nature primitive dont il serait ou il sera le Dieu.

Jean-Paul Gavard-Perret

 

voir aussi : le site de Joseph Ciesla, le site de la galerie Henri Chartier

 

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