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Art contemporain : un regard lavé de tout soupçon sur l'actualité des expositions, des salons, des événements culturels en France et en Europe.

L’Etat et l’Art contemporain (2) - Christine Sourgins

 une journée de débat ou un débat ajourné ?

Le compte-rendu de Christine Sourgins
Auteur de « Les mirages de l’Art contemporain », éditions La Table Ronde.

 

 Pour la 1ère fois depuis 1972, les artistes se mobilisent : un millier de signatures seront réunies par la pétition « L’art c’est la vie » lancé en juin sur Internet ; suivront les remous orchestrés contre le président de la Maison des artistes interpellant N. Sarkozy sur le sort des artistes. En septembre, la revue Art-absolument réalise un dossier, « Polémique : l’Etat et l’art contemporain en France », c’est dire si on attendait impatiemment la journée-débat organisée  par cette revue à ce sujet, au théâtre du Rond-Point, mercredi 28 novembre 2007.
 Ayant été un des auteurs figurant dans le dossier d‘Art-Absolument, j’aimerais, non pas résumer la teneur de chaque intervention mais noter les faits saillants (1). Les questions se posant uniquement par écrit, on me remet donc une feuille pour poser une question …pour la journée et 4 tables rondes. Mais bon, après tout, il y a 160 places…



 Lors de la première rencontre, Claude Mollard se montre réservé face à l’évolution d’institutions qu’il a contribué à créer mais qu’il ne dirige plus. Il est vrai que maintenant ce haut fonctionnaire culturel  se définit aussi comme artiste…Olivier Kaeppelin, l’actuel délégué ministériel de la Délégation aux Arts plastiques, défend son bilan et renvoie la responsabilités des blocages et injustices sur les musées (absents). Le peintre Jean-Michel Meurice, l’instigateur de la fameuse pétition, pointe le récent catalogue du Musée national d’art moderne qui « oublierait » certains artistes pourtant présents dans la collection. La question d’un art officiel n’est pas nouvelle, il cite le dossier du monde en 1993, déjà, et invite Roland Lienhardt a donner son point de vue de juriste. Cet avocat à la cour en stupéfie plus d’un : nombre d’institutions du ministère de la culture n’auraient pas de bases légales ; l’usage du statut associatif, loi de 1901, permet à l’Etat de contourner ses propres procédures et règlements pour recruter du personnel ou acheter des œuvres, moyennant quoi l’arbitraire s’est substitué au droit. L’avocat développe largement ses idées sur son site (voir sur internet la lettre de nodula ).



 Suit une seconde table ronde, où Pascal Amel lit une sorte de réquisitoire bien senti contre une situation culturelle intenable, qui privilégie un « nihilisme kitch », où l’attitude remplace souvent l’œuvre, le tout au détriment des artistes de « la main pensante ». Rémy Aron le président de la Maison des artistes, plaide pour la défiscalisation des achats d’art afin d’aider, justement, ces artistes qui se sont pas dans le circuit officiel. Dans la discussion, il apparaît que dans ses choix, Mr Seban, directeur de Baubourg, n’a pas de compte à rendre (qu’on se le dise, le droit divin existe encore dans la fonction publique culturelle !). L’artiste Ernest Pignon-Ernest, qui vit à la Ruche, regrette qu’aucun fonctionnaire culturel ne vienne jamais le voir, lui et ses collègues. Mr Kaeppelin réagit vivement :
- Ah moi, j’y vais !
- Ah bon, qui as-tu été voir ?
-Untel et untel.
Ernest :
- Mais ils sont morts il y a plus de 15 ans !
Eclat de rire de la salle, on entend « Vive Ernest !» . Seules quelques questions écrites seront lues ; il est vrai que la première cogne fort :
- « Peut-on envisager de supprimer la DAP (Délégation aux Arts Plastiques) ? »
Non, bien sûr, répondent les intéressés ; mais il faut amender le système, assurent-ils. Quels est donc la solution au réseau étatique qui étrangle la culture ?

La solution au réseau ? Encore plus de réseau ! 

 Après-midi, 3eme rencontre : F. Barré (ex délégué aux Arts Plastiques, ex patron de Beaubourg) enfile la lecture d’articles de journaux, histoire de brosser un tableau horrifique de la spéculation en art (tout le monde est au courant, mais il s’agit de suggérer que seul l’Etat peut contrer un marché en folie, accessoirement de gagner du temps de parole). Un galièriste explique que, grâce à une aide étatique, il va pouvoir avoir  à New York  « une position permanente » (merci l’Etat). Mr Fuch, de l’ADIAF, qui réunit les mécènes instigateurs du Prix Marcel Duchamp, se félicite de sa collaboration avec l’Etat, puisque c’est Beaubourg qui donne à cette récompense « une visibilité extraordinaire ». Il s’agit, dit-il, de suivre les artistes, « d’accompagner leur cote » sic , de les introduire sur le grand marché ! Peut-on rêver aveu plus naïf d’un de ces fameux réseaux analysés par Aude de Kerros dans son livre (« L’Art caché, les dissidents de l’Art contemporain », chez Eyrolles).  On sait que l’art très contemporain n’existe que par ce type de réseau, c’est un phénomène marchand avant d’être teinté d’artistique. Mais il y a une spécialité française, que les intervenants exposaient à merveille : la collusion du public et du privé, (les musées devenant des machines à coter, le secteur public captant la manne financière privée), d’où l’opacité du système français sur les transactions et l’impossibilité de savoir qui fait quoi de l’argent du contribuable. Mr Kaeppelin, délégué de la DAP, dans une émission en direct sur France culture, m’a soutenu le contraire : l’art officiel serait un pur fantasme et l’artiste Fred Forest (qui avait attaqué Beaubourg pour obtenir communication des prix d’achat) aurait gagné son procès ! (2). Or, que vois-je ? Fred Forest monter sur scène et raconter (devant Mr Kaeppelin )comment il a bel et bien perdu son procès et fut condamné pour avoir voulu briser « le secret en matière industrielle et commerciale » sic. Mr Barré s’empresse d’approuver ce jugement du Conseil d’Etat qui protège « l’intérêt public » (et punit les vilains petits curieux qui veulent comprendre ce qu’on fait de leur impôts : le droit divin, vous dis-je !).
 Puis vint le tour du représentant de Culture France (ex AFAA), le ton change. Autant, (quoiqu’on en pense d‘eux), il y a de la jovialité chez Mrs Mollard et Kaeppelin, autant Monsieur Culture France (l’assistant d’O. Poivre d’Arvor) a le regard du capitaine Bligh toisant les révoltés du Bounty : « il y a des artistes qu’on a aidés… et qui ont signé la pétition ! »  Autrement dit : « Bande d’ingrats ! ». Derrière moi j’entends :
- Celui-là, il fait peur !
Et l’homme de nous expliquer, qu’il faut former la critique, créer une filière, la rééduquer en somme : hallucinant, le réseau continue de s’exposer complaisamment. La solution au réseau officiel, c’est….encore plus de réseau !
 



La dernière heure va en choquer plus d’un. La journaliste Pascale Lismonde stigmatise « les méthodes traditionnelles d’enseignement » et exalte les formidables avancées du plan Tasca-Lang, hélas, dit-elle, abandonné. Ma voisine est en train de bouillir, se remémorant certains dérapages artistiques (genre « lâcher de mouches dans une classe » ). Quand Isabelle Renaud-Chamska, qui représente l’action culturelle dans le secteur religieux, prend la parole pour exposer complaisamment le déroulement d’une exposition sur Marie-Madeleine, des voix s’élèvent. Non seulement le réseau continue de déployer son ampleur en guise de justification ( après le public captif des écoles, l’enrôlement des milieux catholiques), mais tout cela s’éloigne des préoccupations des artistes, occupe le temps de parole. Il ne reste plus que vingt minutes et le débat n’a pas commencé ! Effleuré, le problème des salons et la somme « colossale » de 800 000 euros attribuée à tous les salons confondus du Grand Palais, soit le prix de l’œuvre de Kiefer installée au Louvre : l’administration fait à la communauté des artistes de « la main pensante » (selon la belle formule de P. Amel) l’aumône d’une toile…et ils ne sont pas contents : des ingrats, vous dis-je ! Esquivé, le droit de suite que la France tarderait à mettre en œuvre, etc. Pourquoi les représentants de Beaubourg n’ont-ils  pas daigné venir, préférant une réunion à Berlin, plutôt que de se justifier devant leurs administrés ? Mme Renaud-Chamska, qui ne comprend pas quel rôle elle joue, continue de parler. On croit reconnaître les voix de Rémy Aron,  de Lydie Van Den Bussche et Carla Van der Rohe, les célèbres blogeuses (3),  la désapprobation secoue la tignasse d’Amélie Pékin (de la Revue Artension), même les très sereines Aude de Kerros et  Françoise de Céligny (d’Univers des Arts)  s‘impatientent. Et quand les artistes arrachent quelques minutes de débat… les officiels se sont éclipsés, ne sont plus là pour répondre !!!
 Si le principe est d’opposer un artiste aux officiels,  quel est le sens du dernier plateau ? Ni P. Lismonde, ni I. Renaud-Chamska ne sont les bonnes interlocutrices du peintre Marie Sallantin. Cette dernière suggère que respecter vraiment le public conduirait à montrer de la peinture, cette création occultée depuis 30ans, par exemple dans l’annexe de Beaubourg en préparation au Palais de Tokyo. Devant la présidente d’ Art-culture et foi, elle cite  St Augustin, exhortant  les artistes a ne pas se décourager. Elle, (qui est à l’origine de « L’Art en questions », éditions du Linteau), montre ainsi l’existence d’une critique cultivée de l’art officiel  et la volonté des artistes de reprendre la main dans un débat qui reste à faire.
 Je suis assise derrière les bans réservés à la presse. Force m’est de constater qu’à la place s’y trouvent des fonctionnaires qui soutiennent leurs chefs. Il me semble qu’il y avait beaucoup de fonctionnaires dans la salle et assez peu d’artistes. Ainsi cette brave dame qui, à la pause, me rassure.
 -  Alfred Pacquement et Alain Seban ne sont pas là ; s’ils étaient là, le directeur de Beaubourg aurait dissipé tous les malentendus.
- Ah oui, nous lui aurions demandé si sa déclaration au Monde du 24 octobre est un aveu officiel : « on (les fonctionnaires) a répugné à défendre les artistes français de crainte d’être accusé de nationalisme » !
Mon unique question (non lue) tétanise la dame,  peut-être moins sa teneur que le fait d’oser demander des comptes à une administration toute puissante.
 Mais à qui s’adresse une journée-débat qui finit dans le vide ? Guère aux artistes. In fine, c’est une dame fonctionnaire qui s’empare du micro pour dire que l’actuel président de la FIAC, ancien délégué aux arts plastiques, travaille sur les problèmes : braves gens, tout va bien, on prend les mêmes pour refaire la suite ! Vive l’Etat, mais autrement, avec de nouveaux partenaires ? A qui s’adresse-t-on vraiment ? Aux fonctionnaires ou à un représentant du gouvernement présent incognito dans la salle ?
 Mais l’escamotage du débat l’aura empêché d’entendre clairement le vœu des artistes : que le ministère s’interdise de définir les contenus de la culture (ce qui entraîne un art officiel), qu’au lieu de labelliser la création, l’Etat veille au respect du pluralisme et du patrimoine. C’est l’interventionnisme bureaucratique qui empêche les créateurs d’exister en dehors des coteries et mécanismes de subventions. Qu’il y ait seulement des « Affaires culturelles », qui s’occupent de droit et de gestion, mais qu’on libère la culture du joug étatique.

Christine Sourgins
Auteur de « Les mirages de l’Art contemporain », éditions La Table Ronde. 


(1)L'intégralité des interventions sera retransmise sur les sites web d'Arte
http://www.arte.tv/fr/hors-ecran/Colloque-L_E2_80_99Etat-et-l_E2_80_99art-contemporain/1767862.html
quand a France culture
http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/nouveau_prog/creation/
pas avant le 5 décembre
(2) « Du grain à moudre » émission du 7 novembre 2007, 17h-18h, qui réunissait J. Clair, O. Kaeppelin et C. Sourgins.
(3)(http://mda2008.blogspot.com/ et http://carla-van-der-rohe.blogspot.com/



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