Le visible et l'invisible
Chercher et trouver
La question métaphysique du visible (déjà là, déjà construit, déconstruit, reconstruit) et de l'invisible (inaperçu, non percevable, dépassant la perception) recoupe celle de l'idée de peinture.
En effet il s'agit de se demander d'abord s'il y a des modèles que le peintre retrouverait à l'oeuvre dans la nature ou dans son inspiration, ou si au contraire ce dernier est toujours le premier créateur d'un monde en lequel il s'impose comme fondateur. Lorsque celui-ci décide de se limiter à un style, disons un "langage", il reconnaît déjà sa dette à des maîtres . Dans le cas contraire l'artiste fait l'expérience de l'errance en art, laquelle le met en danger perpétuel. Deux exemples: Picasso ("Je ne cherche pas, je trouve"), André Masson (toujours en recherche, du cubisme au surréalisme, puis à l'expérimentation de l'automatisme).
Trouer la toile
Lucio Fontana (né en 1899 en Argentine et mort en 1968 en Italie) a crevé la toile. Le trou dans la peinture est l'épreuve du fond et du vide en deçà de celui-ci.
La peinture révèle l'envers du décor. Derrière le spectacle du monde : le rien, le néant. Tout est donc dans l'apparence que l'artiste révèle telle. En cela l'art est bien métaphysique encore et le peintre concurrence Platon. Cachez donc ce néant que je ne saurais voir. Etre ou ne pas être artiste se lit ici : soutenir ou pas le rien derrière l'apparence de la couleur, de la trace, de l'étendue de l'espace de la toile.
La quête
Peut-on aller plus loin encore ? L'important n'étant pas le but, mais plutôt le chemin, on doit s'intéresser maintenant à l'idée de progrès en peinture.
La première idée à affirmer est que la recherche de la nouveauté annule tout crédit dans une démarche artistique. Seuls les critiques extérieurs voient du nouveau là ou il n'y a que répétition, travestissement et détournement plus ou moins reussi en art. Prenez la figuration en peinture. Elle se nourrit depuis environ un demi-siècle de bande dessinée (Guston), cinéma, photographie et opère des synthèses qui libèrent l'artiste de l'Art pauvre et de ses variantes conceptuelles. Le culte du nouveau se déploie dans les chapelles du dogmatisme (l'Etat des fonctionnaires et les écoles d'art des professeurs).
Circularité du procès artistique
L'art est ainsi bien circulation, mouvement d'aller-retour, révolution. Et l'on voit revenir ce qui a été (néo-académisme, néo-dogmatisme) et disparaître ce qui fut d'abord la norme afin de servir de prétexte à "l'écriture" à venir.
Au mieux, retenir l'idée selon laquelle la peinture notamment est le produit de la peinture ( "La peinture s'apprend au musée", Renoir). L'histoire des formes n'ayant ni commencement ni terme. Processus infini qui signe bien le décès des partisans d'une histoire de l'art comprise comme le déploiement d'un être qui naîtrait, croîtrait et dépérirait.
Le peinture est éternelle, à la façon du monde et de tout ce qui se manifeste ici-bas dans la déclinaison et l'écart.
Pierre Givodan
Lucio Fontana Concetto Spaziale
Lucio Fontana Concetto
Philip Guston Sans Titre 1980
![]() | Pierre Givodan |
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