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8 novembre 2006 3 08 /11 /novembre /2006 08:19

Bruno Yvonnet et "La peinture, peinture"



(Bruno Yvonnet, Vague Vanitas, Galerie José Martinez, 28 rue Burdeau, 69001 Lyon.)

 


Bruno YvonnetNé à Marseille en 1957, vivant et travaillant à Lyon, Brunot Yvonnet ne peut être taxé de passéisme. Il a fait ses preuves dans tous les genres qu'ont généré l'aventure post-moderne et les nouveaux médias. De l'art-vidéo, aux installations ou interventions (pour le métro de Lyon par exemple où il a traduit une conscience des nouveaux rapports entre le ville et ses usagers dans une sorte d'apprivoisement ou de dialogue), de la photographie à l'art cybernétique, l'artiste nous a souvent entraînés dans ce qu'il nomme son "double langage". Un langage plus que double, multiple et trouble,  toujours encré cependant dans la recherche de la lumière souvent chiche mais d'autant plus prégnante. On se souvient par exemple de ses photographies en noir et blanc ou argentiques mais aussi de ses peintures à l'huile de très grands formats, à la surface glacée où les teintes les plus sombres opèrent des formations qui réduisent à mal l'opposition abstraction/figuration.



Avec sa dernière exposition lyonnaise l'artiste en faisant retour à la " peinture peinture " prouve que "espace de lumière" reste une formule prononçable afin d'approcher une sorte d'absolu de la peinture. Repoussant pour l'atteindre la facilité des couleurs vives et claires, refusant de réduire  celle-ci à une simple re-présentation, à une image de l'image, Bruno Yvonnet a choisi un chemin inverse. Car ce fou de peinture est aussi lucide. Un lucide souffrant comme le sont les voyants. A ce titre il fait partie de ceux extralucides dont la peinture écarquille le regard en le plongeant d'abord dans le sombre, l'obscur puissant, épais, glacé.



Le peintre - pour lequel l'influence des artistes flamands reste présente même s'il a choisi d'autres voies étant donnée l'avancée de la peinture (et non son recul comme trop se plaisent à le penser) - ressoude le monde par son regard, sa gestuelle, sa technique. Son regard restitue ainsi la lumière reçue autant que donnée mais d'une manière détournée comme si dans le noir (de mort) la vie se mettait à s'ébattre. Bruno Yvonnet radiographie le monde en même temps qu'il le reconstruit et l'invente. Tout repose sur ce double axiome : comment donner en tableaux fixes et sombres ce qui remue le plus, la vie devant et en soi-même. Car si le peintre nous ressoude au monde c'est par notre monde intérieur auquel le sien renvoie par effet de miroir. Ainsi à travers les couleurs foncées qui jaillissent d'une chair picturale comme brûlée il nous ressoude à notre corps spirituel, à ses souffrances mais aussi ses joies apparentes.


Répétons le : user de la couleur aurait été plus simple et si un peintre comme Lewigue s'encombre de couleurs pour montrer ce que cachent nos ombres portées, Yvonnet a choisi dans le sombre la " nature picturale " qui dénoue la nuit. C'est dans les trous ou plutôt les trop plein du noir de la matière picturale que le peintre fait un saut à la fois dans le vide et contre lui dans ce qui tient au sacrement du monde et pas à sa seule séduction d'apparence. Existe ainsi dans ses oeuvres une sorte d'abstraction concrète comparable à celle d'une musique traversée de mouvements convulsifs et amples.


Ce n'est pas pour autant que l'artiste cherche à illustrer des atmosphères : il peint par seule nécessité. Celle qui fait croire qu'elle s'oppose au hasard mais qui de fait s'oppose encore plus aux apparences. C'est là toute la lucidité et l'exigence d'un artiste qui ne s'est jamais contenté des à peu près. Il y a donc chez lui non seulement l'influence flamande citée plus haut mais aussi celle de William Blake. Car, le peintre a toujours senti la terrible faille d'être soi-même. On sait en effet que tous les artistes authentiques ne semblent jamais remis de leur naissance. Ils ne cessent par leurs travaux de s'en guérir. Et Bruno Yvonnet n'a jamais interrompu ce mouvement de rapprochement. Abstrait autant que concret jusqu'à la moelle, il tente en particulier par ses toiles plus que par toute autre approche créative un retour à l'origine, le retour au noir par où passe pourtant la lumière de la vie.


A ce titre son abstraction n'est pas un entassement de concepts fumeux, ni ses " figures " l'expression d'un lyrisme ondulatoire. Il sait faire jaillir de la matière quelque chose de profond, d'insaisissable. On rencontre par exemple des sortes de vagues mais qui semblent agiter non la surface mais le dedans. Ne subsiste que l'essentiel là où au sein d'un brassage couve un incendie. Le temps n'existe plus ou ne finit pas de finir là où la peinture montre un non lieu, un trou, un chaos de ravins au seuil du noir.


La perfection du geste est ici le désordre avec ce retour éternellement, perpétuellement précipité à un autre ordre. La peinture ainsi travaillée signe la trace du néant mais nous retient afin que nous ne plongions pas dedans.  Au sein de la confusion surgit une écume de lumière. De façon fragmentaire, lacunaire s'exhausse alors la cruauté de l'antérieur et - qui sait? - la filiation des songes puisque, à ce point de l'histoire, le monde n'est plus mesurable. Une fois de plus on peut  rapprocher Buno Yvonnet quant à l'idée, de l'éthique, de l'esthétique de Blake. Sa peinture dans sa viscosité reste au coeur du noir, cette " causa mentale " qui creuse au plus profond et même sous le peau de l'inconscient.  Un tremblement surgit qui fait basculer le poids du monde. Ne demeure donc qu'un essentiel effet de démultiplication en un mouvement perpétuel. Il faut comme le peintre en accepter l'énigme, l'énigme de cela.

 

 
voir aussi  : le site personnel de Bruno Yvonnet, le site de la galerie José Martinez
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