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28 septembre 2006 4 28 /09 /septembre /2006 08:41

Masses et éclats

Les cristaux d'inconscient

J-P Gavard-Perret

 

Vincent Gontier, Galerie Frédérique Martiningo, Rue M-C de Buttet, Chambéry.

 
 

Vincent GontierL'univers de Vincent Gontier ouvre un espace mental et physique particulier. II crée une série de connexions, de rapports dans lesquels "l'écrit" fait masse mais où la matière éclate aussi en une série de métaphores. Le regard s'y éprend, réapprend à voir, se surprend à une contemplation paradoxale (jouant par exemple sur les renversements des notions de grand et de petit). Mais pour cela il ne faut pas se contenter de butiner, de virevolter ni d'être pressé. Il manquerait le poids de la mélancolie - d'une mélancolie agissante telle que la concevait Claude Simon pour son Orion Aveugle - lié à un mouvement qui feint de passer d'un reflet à l'autre. Ainsi, l'oeil vise l'objet, le regard la chose et c'est bien elle qu'il faut contempler dans une oeuvre qui ne cesse d'inscrire une extra-territorialité mais qui fonctionne toutefois dans une dimension organisatrice. Cette dernière subvertit les notions habituelles de dehors et de dedans, d'intérieur et d'extérieur, de matière et de viande. En témoignent les empilements structurants de ses "Petites sculptures" ou les baguettes magiques distribuées en étoiles et en queues de comète de ses "Neurones transmetteurs".



La dimension d'un manque et d'un trop plein est donc au coeur de la postulation de Gontier. Soudain la libido posséde non seulement des métamorphoses mais des trajectoires là où le réel et l'imaginaire ne forment plus de discrimination pertinente. L'artiste nous offre en quelque sorte un voyage réel par la force de l'imaginaire qui vient en contre coup se réfléchir dans la réalité. Ainsi imagination et réalité deviennent deux parties juxtaposables, superposables d'une même trajectoire ou encore deux faces qui ne cessent de s'échanger. Il y a un itinéraire nomade et un voyage en rêve. L'artiste compose des entremaillages de parcours dans d'immenses ou de petites découpes de l'espace qu'il faut lire comme une carte. Le modèle réduit et la compression de petits morceaux de papier amoncelés de manière rectiligne forment des villes immenses. La grandeur de l'enchevêtrement de baguettes rigides crée une autre limite aux synapses de notre corps. L'imaginaire devient une image virtuelle qui s'accorde à l'objet réel pour constituer ce que Deleuze nomma "un cristal d'inconscient". Car, chez Gontier, il ne suffit pas que l'objet réel évoque des images équivalentes. Il faut que se dégage une image virtuelle propre à l'objet. Celle-ci entreprend un voyage imaginaire, s'engage dans le réel suivant un circuit où chacun des deux termes poursuit l'autre. La vision d'une telle oeuvre est faite de ce doublement ou plutôt ce dédoublement. Et c'est dans les cristaux d'inconscient que se voient les trajectoires de la libido.



Cette conception cartographique est très différente de la conception archéologique chère à la psychanalyse. Cette dernière lie en profondeur l'inconscient à la mémoire. C'est une visée mémorielle, monumentale, de commémoration qui ne suffit pas à Gontier . Elle ne porte que sur des terrains capables de conserver, d'identifier ou d'autentifier les choses. Au contraire la cartographie de l'artiste est un lieu où les cartes se superposent pour une traversée. Il s'agit par ce biais de s'enfoncer dans le réel au lieu d'en rechercher l'origine. Gontier, par effet de matières tend à évaluer des déplacements, des transferts pour redistribuer les seuils et clôtures. Ce n'est plus une inversion de sens mais une différence de nature. Ce n'est plus un inconscient de commémoration mais de mobilisation . Les "objets" s'envolent ou se tassent, mais ils ne restent pas dans leur lieu, leur milieu d'origine. Surgissent diverses formes de migration, la création de chemin sans passé même si les matériaux choisis représentent la mémoire du monde.

 

Les oeuvres de Gontier ne doivent pas seulement se comprendre en extension mais aussi parfois en réduction. Son univers est d'intensité, de densité. Cette distribution - fruit sans doute d'une constellation affective - propose une vision particulière qui distribue les affects. Leur liaison constitue chaque fois l'image du corps, image toujours remaniable ou transformable à la mesure des constellations affectives qui la déterminent. L'art atteint un état céleste qui ne garde rien de personnel ou de rationnel. Il est fait de trajets et de devenirs, de "cartes" extensives et intensives. L'art de Gontier se définit donc comme un "cairn" avec des "pierres" rapportées. Et c'est seulement par une telle conception que l'art peut s'arracher au simpliste procès personnel de la mémoire et à l'idéal collectif de la commémoration. Ainsi la sculpture cesse d'être seulement "monumentale" pour devenir hodologique : il ne suffit pas de dire qu'elle est paysage, qu'elle aménage un lieu, un territoire. Ce sont des chemins que Gontier aménage, elle est elle-même un voyage.

 
 voir aussi : une présentation de Vincent Gontier (Festival de sculpture de Barraux, invité d'honneur 2006)
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