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25 juin 2008 3 25 /06 /juin /2008 10:44

Avedon : La photographie mouvement

par J.P. Gavard-Perret

"Richard Avedon Photographies 1946-2004, Rétrospective", Musée du Jeu de Paume, 1er juillet au 28 septembre 2008.




Richard AvedonQui d'autres sinon Avedon pour symboliser le portrait photographique ? Cela ne va pas pourtant sans une ambiguïté foncière au sujet des… sujets retenus pour de tels portraits. La plupart  sont le "reflet" des célébrités du temps . Les Beatles, Antonioni (sublime portrait avec son épouse Enrika), Bacon, les Monty Pythons, Jane Livingstone sans compter bien sûr les stars de la mode (Twiggy, Elise Daniels, Suzy Parker ou Penelope Tree) et de la politique. La question peut donc sembler pertinente de savoir si la notoriété et le bénéfice de l'image de celle ou celui qui pose devant l'objectif du photographe ne vampirise pas ses clichés. La force des épreuves de Richard Avedon dément le postulat. Le gris noir de ses portraits est toujours envahi d'une lumière qui chez lui est facteur de mouvement. Dans ses photos de mode Avedon parvient à être érotique  sans lubricité. A l'instar de Fred Astaire, héros et idole du photographe, l'artiste est capable d'approcher les femmes comme un afficionados qui n'a pas pour autant besoin de les séduire.




Son écriture jusque dans ses photos de mode sait valoriser le mouvement pour lui-même. Jusque là ceux qui s'étaient intéressés au mouvement (Munracki par exemple dont l'artiste a tiré tant de leçons) le rattachait plutôt au culte de la santé. A l'inverse, les filles d'Avedon ne sont pas spécialement "sportives" et la recherche du mouvement est toujours au service de l'émotion. Comme un Fragonard (qui l'a plus qu'un autre inspiré) le photographe élabore un vocabulaire nouveau du geste afin de recomposer  une syntaxe particulière d'un monde où des femmes bouches bée, front appuyé dans les livres,  agrippent  les pages de leurs doigts tels des pinces. La fascinante beauté de l'exhibitionnisme cède le pas à celle de la conspiration. Le front inquiet et le sourire complice sont souvent les motifs dominants d'un pacte entre la femme et le photographe : qu'on se souvienne de son cliché de Suzy Parker rebroussant chemin au moment d'entrer au "Shéhérazade"...





Richard AvedonAvedon reste lié à une nouvelle façon de présenter ce qu'il nomma (en français) "le bonheur de vivre" dans lequel on sent l'amour que le photographe porte aux femmes de manière non superficielle. On a pu ainsi parler à son propos de "protoféminisme et de complexe de compréhension de leurs difficultés" ! Chez lui la femme n'a rien de naturaliste : elle est même irréelle ce qui incline l'artiste vers la générosité, l'esprit, l'humour et une aptitude à prendre lui-même un recul ironique par rapport à son propre pouvoir de "prise" photographique. En ce sens les photos de mode du portraitiste restent capitales car elles soulignent le rôle essentiel des apparences dans la création de la "valeur". Cette postulation peut sembler discutable. Mais  le photographe n'est jamais dupe de la  vanité. "Lorsque nous habitions Cedarhurst, ma mère nous emmenait à New-York pour un circuit Met, Frick, Carnegie Hall". Il y découvrit non seulement Astaire, mais ceux qui, pour lui, restent les grands portraitistes : Fragonard ("Fragonard est tout en esprit"), Gainsborough, Goya. Il apprend chez eux cette manière lourde et légère à la fois de saisir le mouvement de l'être dans un visage qui fait résonner "le bruit sourd du fleuve Intérieur qui l'anime".




Richard AvedonPhotographe citadin par excellence (le paysage ne l'intéresse pas et la nature le fatigue), il demeure le plus sophistiqué et le plus délicat des photographes. Toutefois, en se concentrant sur l'humain il le soulève ou l'écrase. C'est pourquoi loin de tout humanisme et en dépit de ses contraintes de portraitiste "officiel" de ce qu'on nomme aujourd'hui les "peoples", il sait, dans chaque visage et pose, faire découvrir une charge d’inconnu. Certains de ses clichés sont beaux au sens classique, néanmoins se dessine à travers l’incantation du léché, ce qui affirme et nie à la fois cette beauté. On en retient le souffle qui garde la force d’extirper une énigme. Il fait éclater les masques du “ je ” social. Le photographe arrache la fixité, l’opacité du règne de l'apparence dans de longues vibrations de lumière et libère ainsi par diffraction une existence prisonnière.




Surgit, un monde de la présence précaire avec en filigrane l’hypnose de certaines voix (lorsqu'il s'agit de chanteurs ou d'orateurs). Reste toujours cette intensité au sein de laquelle l’image fait surgir la fragilité des êtres. Apparaît, même une sorte de douleur muette, larvée. Le créateur montre sous la réconciliation sociale une fracture. Il est celui qui dévoile une gravité au sein de la "futilité". Restent une autre empreinte de la chair, un grondement sourd et un gouffre dans la présence. Les "extases" d'Avedon ont beaucoup à nous apprendre. Elles demeurent  avec leur "part de nuit", des propédeutiques à qui veut comprendre le mystère des images En ce sens que chacune d'elle reste une énigme qui fait de richard Avedon  le plus grand portraitiste de son temps.

 


 

Cinquante ans durant, Avedon fut l’un des plus grands noms de la photographie de mode. L’exposition regroupe 270 œuvres retraçant l’ensemble de sa carrière de 1946 à 2004 : des photographies de mode bien sûr, mais surtout des portraits de nombreuses célébrités du monde de la politique, de la littérature, de l’art et du spectacle.



Informations pratiques :


Jeu de Paume
À Concorde
1 place de la Concorde
75008 ParisMardi de 12h à 21h
Du mercredi au vendredi de 12h à19h
Samedi et Dimanche de 10h à 19h
Fermeture le lundi
Tél. 01 47 03 12 50

 

photos :

Autoportrait
Provo, Utah, 20 août 1980
Photographie Richard Avedon
© 2008 the Richard Avedon Foundation


Twiggy, coiffure de Ara Gallant
studio de Paris, janvier 1968
Photographie Richard Avedon
© 2008 the Richard Avedon Foundation



Roberto Lopez, ouvrier sur un gisement pétrolifère
Lyons, Texas, 28 septembre 1980.
Photographie extraite de la série In the American West
Richard Avedon
© 2008 the Richard Avedon Foundation


voir aussi : http://www.jeudepaume.org/?page=accueil

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